L'AVIATION : LE MOYEN DE TRANSPORT LE PLUS RAPIDE
POUR CEUX QUI NE SONT PAS PRESSES

 

Fort préoccupé par la situation actuelle de l’emploi des pilotes, étant moi-même EPL en recherche d’un premier travail de copilote dans le transport aérien, je m’intéresse à toutes les évolutions concernant ce beau métier. Qu’elle soit de nature stratégique, sociale, syndicale ou technique, chaque innovation mérite qu’on y apporte une attention particulière.

C’est dans cette optique de curiosité et d’intérêt que je lis régulièrement " La Ligne ", la revue du SNPL. Dans le numéro du mois de mai dernier, j'ai pu lire un article fort intéressant issu de "Flight International", et intitulé " des fissures dans le verre de nos glass cockpits ".

J’y apprends avec une certaine stupéfaction que les cockpits automatisés " sont la cause d’un changement inconsidéré du rôle du pilote ", qui rend le pilote " plus spectateur surveillant et moins acteur de la conduite du vol ". Certains en appellent même à une " révolution "... Étant donné mon jeune âge, de nombreuses interrogations ont germé dans mon esprit inexpérimenté.

Je crois savoir que voici plus de 25 ans, un dispositif d’aide au pilotage, le TC 121, permettant la vision des informations en superposition du monde extérieur a été inventé, par un français qui plus est. Sans vouloir me lancer dans une description historique qui risquerait d’être inexacte, je rappellerai simplement les grandes lignes de la mise au point de ce dispositif. Son étude a débuté en 1964 et son premier vol a eu lieu en 1966. De 1972 à 1980, Le TC 121 a fait l’objet de nombreuses évaluations. Il fut d’abord méprisé (et raillé) au tout début des années 70. Parfaitement convaincu du bien-fondé de sa théorie et de la justesse de ses travaux, son inventeur en a appelé " au Jugement de Dieu ", en allant présenter ses recherches au MIT (Massachussetts Institute of Technology) et à l’US Air Force, sur son banc d’essais volant, le Nord 262-55. Cet épisode ferait à lui seul le sujet d’un excellent roman. Néanmoins l’Histoire (et l’intelligence de quelques-uns) lui ont donné raison, puisque la navette spatiale américaine, la plupart des chasseurs du monde, le C-17 et de nombreux autres avions volent désormais avec un collimateur tête haute (ou HUD : Head Up Display) basé sur les travaux menés sur le TC 121, parfois également appelé " Klopfstein Display " ou viseur Klopfstein...

Bien entendu, ce n’est pas à moi de souligner le prodigieux bond en avant que représente cette technologie, qui permet à la fois les atterrissages de précision tous temps en manuel, le pilotage en boucle ouverte, une gestion optimale des ressources du pilote en mode dégradé, l’augmentation considérable de la sécurité de nuit etc.

Etant données les améliorations considérables que permettent les technologies les plus récentes (couplage inertie-GPS, voir un certain numéro d'Icare... affichage couleur, miniaturisation, baisse des coûts), on peut s’étonner que ce type de dispositif n’existe pas dans nos avions, aux cockpits les plus "modernes". Sa technologie date pourtant de près d’un quart de siècle. Son "père", Gilbert Klopfstein, n’est pourtant pas un isolé farfelu, comme certains, même et surtout parmi ses "pairs", se sont plus à le décrire trop souvent. Ses travaux ont été évalués par la NASA, par l’US NAVY, L’US AIR FORCE, LE MIT, le CEV, la DGAC... Tous leur ont donné un avis plus que favorable, sinon enthousiaste. Que ce soit la Society of Experimental Test Pilots dont Chuck Yeager a été président, le chef pilote de Dassault (M. Coureau) ou du CEV (avec pourtant quelques années de retard sur les américains), M. Maxime Coffin de la DGAC, tous ont trouvé le système facile, intuitif, laissant le pilote dans la boucle de décision, et non dans la boucle d’exécution (on retrouve les termes de l'article de "Flight"...). M. Poustis, du SNPL, en parlant de "visionique tous temps" à une certaine époque, donnait une certaine reconnaissance aux travaux de Gilbert Klopfstein. L'astronaute Patrick Baudry lui-même (discours lors de l’inauguration des locaux du SNPL, sic !...), expliquait avec quelle précision se posait la navette spatiale grâce au "viseur Klopfstein".

Pourtant, sous la pression de quelques ténors du syndicalisme, ou mandarins constructeurs d’avion, protectionnistes ou frileux, cela n’existe pas, ou à peine, dans les cockpits d’avion civils. Le système "révolutionnaire", que l’on pleure aujourd’hui, est mort dans l'œuf. Déjà en 1972, dans la revue Intra D.O., dont certains se rappellent peut-être, M. Pierre Cot, alors Directeur Général d’Air France, creusait la tombe du système en soulignant ses "inconvénients" (les américains avaient analysés "un certain nombre d’avantages"), tout en reconnaissant qu’il augmentait considérablement la sécurité, de nuit surtout. En réalité (c’est écrit dans l’article), monsieur Cot cherche à justifier son secret désir de se débarrasser des pilotes en prédisant une rapide et telle amélioration de la fiabilité des cockpits, que le " tout automatique " est pour bientôt et que ce système est inutile. Pourtant, quatre ans plus tard, dans le Bulletin de Sécurité des Vols de la même compagnie Air France, on admettait que près de 70% des accidents survenus au décollage ou à l’atterrissage avaient lieu de nuit. Pourquoi n’a-t-on pas pris le système, alors ? Se débarrasser des pilotes est un mythe. Cot a raison financièrement, il a tort techniquement : on ne peut pas s’en passer. Le mythe persiste néanmoins aujourd’hui encore, grâce à l’acharnement de certains.

Depuis lors, on a fait des pilotes des singes savants (voir "la ligne" : " singe ou pilote, l’étoffe des zéros "...), sachant seulement appuyer sur les bons boutons au bon moment, des complémentaires des automatismes, affranchis de toute réflexion intelligente sur le vol. Les marins ont compris pourtant depuis longtemps le rôle du commandant : le pacha ne doit pas être à la barre, mais à la passerelle, car lorsqu’il pense (et qu’on lui en laisse la possibilité), la quille ne va pas dans les rochers et la voile ne faseye pas. A la demande de la DGAC, la commission scientifique du congrès des Etats-Unis rédigea un rapport dans lequel elle avait compris cela puisque ce rapport concluait : "The pilot acts as a manager rather than a servo.". Cela choquera sans doute beaucoup de pilotes certains de leur compétence parfaite en matière de pilotage. Qu’on compare pourtant ce pilotage avec et sans viseur Klopfstein, surtout de nuit, à l’atterrissage : ‘effet cuiller ?’...

Cela dit, les travaux de Klopfstein ne se sont pas limités au collimateur tête haute, c’est à dire à la présentation de l’information dans le sens Avion-Pilote, l’aspect "output". Ses recherches ont également abouti à une mise au point de l’interface Pilote-Avion, grâce au pilotage par incréments ou en boucle ouverte (voir mirage 2000), c’est l’aspect "input". L’information directe existe dans les deux sens, et tous les dispositifs sont certifiés par la DGAC depuis des années !

A force de demander la lune en matière d’aide au pilotage, les pilotes semblent avoir signé leur propre "déchéance". En acceptant leur déqualification, les pilotes ont accepté ipso facto d’être moins bien payés et considérés. Les travaux de Klopfstein, qui n’était rien, rien qu’un "petit" pilote d’essais, qui faisait ses recherches de sa poche, n’intéressaient personne et faisaient même sourire, lorsqu’ils ne dérangeaient pas...

Ce qu’on demande aujourd’hui existe depuis près de vingt ans, a fait l’objet de travaux d’évaluation considérables de la part d’organismes non moins considérables, il permet de réduire considérablement ce qu’en électronique on appelle le "bruit", sur le pilotage, avec toutes les conséquences que cela peut avoir sur les accidents où l’opérateur humain est en cause...

Voici donc les quelques interrogations qui me sont survenues à la lecture de cet article. A elles s’est ajoutée la perplexité à la lecture de l’article de la page 27 du même numéro de la ligne : " l’OCV a demandé à la COMETEC d’étudier l’utilisation possible d’un HUD tel que certains avionneurs le proposent sur des avions régionaux : CRJ ou Saab 2000. Si un seul équipement était installé en place gauche, le CdB en PIC pourrait-il effectuer "en manuel" une approche CAT II ou CAT III ?".

C’est déjà pas mal d’en avoir l’intuition, mais pourquoi seulement en place gauche ? Encore une histoire de coût, sans doute. A noter pourtant que le coût occasionné par un accident absorbe à lui seul l'équipement en HUD de trois ou quatre compagnies de deuxième niveau... Quel gâchis. On est toujours aussi en retard, n’est-ce pas ? 30 ans, c'est peu, mais il ne faut pas être pressé pour avancer... 

Le pilotage en boucle ouverte

On dit souvent d'un pilote qu'il "est dans la boucle" ou qu'il ne l'est pas. Cette expression populaire n'a pas vraiment de racine scientifique ou technique, au contraire de la "boucle ouverte" qui fait référence à la boucle d'asservissement du pilotage de l'avion.

Prenons un exemple simple.

Vous êtes en approche sur un ILS et vous vous apercevez que vous êtes légèrement sous le glide. Vous entamez une action à cabrer. Pour cela, votre oeil vient se fixer sur l'horizon artificiel et votre cerveau se focalise complètement sur les 2 degrés à cabrer que vous voulez maintenir. Cela afin de créer une boucle d'asservissement de votre pilotage à la réponse de l'assiette à vos actions sur le manche. La boucle est fermée. Pendant ce temps, vous ne pouvez pas vraiment distraire votre attention de l'horizon, sinon l'avion vous échappe, et vous ne faites plus attention à ce qui se passe autour.

Soit maintenant un avion dont la trajectoire, lors de la même approche, est asservie à une pente et une route. Il ne s'agit pas d'un mode supérieur, l'avion n'est pas couplé au glide ni au localizer. On sollicite donc toute l'intelligence du pilote pour la conduite du vol, car s'il ne fait rien, l'avion se pose à côté de la piste. Ici encore, vous êtes légèrement sous le glide, de 0,3° par exemple, donc sous une pente d'approche de 2,7°. La correction qui s'impose (règle du double du gisement) est 0,6° à cabrer. Notez au passage que la précision de ces chiffres n'est pas accessible sur un horizon artificiel traditionnel, mais qu'elle l'est sur un HUD. Le pilotage en boucle ouverte consiste à actionner une commande située sur le sommet du manche par impulsions successives, comme on le ferait avec un trim de profondeur traditionnel. Une impulsion de cette commande vers le haut change la pente d'asservissement de la trajectoire de l'avion de 0,3° à cabrer. 2 impulsions de 0,6°, 3 impulsions de 0,9° etc. Cette commande, appelée "Bip Trim" sur le Mirage 2000, agit sur le vecteur vitesse de l'appareil, en pente bien-sûr, mais aussi en route. C'est le pilotage par incréments de pente et de route. En agissant par impulsions, on n'a pas à se soucier de l'amplitude de la correction, et l'esprit reste avisé de ce qui se passe, tout en forçant le pilote à réfléchir. La boucle est ouverte. La sécurité grandement augmentée. Néanmoins, la démarche intellectuelle pour que les pilotes acceptent le Bip Trim au lieu des deux mains sur le manche est énorme, tant il s'agit d'une révolution de mentalité, mais on y viendra...

César Tourdjman