L'instrumentation du 3ème millénaire

Il ne vous viendrait certainement pas à l'idée, au volant de votre automobile, de surveiller un compte-tours afin de ne pas dépasser la vitesse autorisée de 130 Km/h correspondant, compte tenu des rapports de pont et de boîte de votre voiture, à 1238 tours de roue par minute. !

De même, vous ne souhaiteriez pas avoir à observer un indicateur présentant le nombre d'allers-retours pistons pour maintenir un régime moteur convenable. Autrement dit, lorsque vous conduisez une voiture, il est tout naturel d'exiger du constructeur qu'il équipe ses véhicules d'indicateurs fiables correspondant aux vraies grandeurs mesurées : vitesse, régime moteur ou encore kilométrage parcouru.

Dans un avion, aucun instrument n'indique directement la trajectoire. Ce n'est qu'en combinant astucieusement vitesse et vario que l'on obtient la pente air ou distance et variation d'altitude que l'on obtient la pente sol. Ce n'est également qu'en réalisant des approximations plus ou moins importantes, parfois de façon quasi intuitive, que l'on est capable d'estimer la capacité de décélération de son appareil, d'anticiper sa stabilisation, d'apprécier sa marge par rapport au décrochage à haute altitude. Cela nous paraît absolument normal à tous, tant l'apprentissage commun d.un système imparfait est devenu un savoir-faire, puis une référence.
On s'est peu à peu convaincus que l'.instrumentation des cockpits présentait à l'équipage une synthèse parfaite des paramètres de vol d'un avion. La meilleure preuve est. que ça marche !

Pourtant, l'équipage du B737 qui est sorti de piste à Biarritz n'a pu rester sur l'axe, l'équipage du B747 de Lomé est rentré dans un banc de brume au passage du seuil et n'a pu, non plus, maintenir l'avion sur la piste, et l'équipage de l'A340 de Cayenne n'a pas pu réagir à temps à un cisaillement de vent non détecté. L'histoire de l'aviation civile est ainsi tristement émaillée d'accidents ou d'incidents dus à une mauvaise représentation de la trajectoire (situation awareness), à un défaut de réaction ou à la mésestimation d'un phénomène.

Peut-on pour autant systématiquement parler « d'erreur humaine » ou encore de « faute de pilotage » et se contenter d'en déduire, d'un point de vue purement statistique, que l'opérateur est faillible ?
Dans ce domaine, ne devrait-on pas plutôt faire la différence entre « l'erreur », liée à la nature intrinsèque de notre espèce, et la limitation des performances humaines consécutive à une présentation inadaptée et restrictive des paramètres de vol ? L'amalgame comptable de ces deux notions, pratiqué depuis de nombreuses décennies et consistant à ne relever que la faute de l'opérateur humain, a jusqu'à présent conduit à une tentative d'automatisation forcenée.

Seulement voilà, l'automatisme a ses limites et le cerveau humain, même sujet à l'erreur, le surpasse notamment encore dans le domaine de l'adaptabilité aux conditions imprévues ou imprévisibles.
Ainsi, après avoir augmenté la fiabilité des matériels et avoir implémenté de nombreux systèmes informatiques, il apparaît que le taux de sécurité du transport aérien ne parvient plus guère à croître et se situe statistiquement à une valeur susceptible de devenir inacceptable par les usagers compte tenu du développement prévu du trafic. La plus grande prise en compte des capacités humaines, par l'amélioration des cockpits et de la précision des informations fournies aux pilotes, constitue donc l'une des principales options comportant un espoir de voir encore progresser la sécurité. C'est pourquoi il convient de tenir compte, dans ces améliorations, des lacunes existantes.

En effet, si un avion vole grâce à ses moteurs dont, sur le même principe qu.en automobile, on sait assez bien indiquer les grandeurs et les paramètres physiques sur un écran, un avion vole aussi grâce à une aile. Or une aile est définie par une polaire et une polaire est caractérisée par des angles.

Où sont représentés ces angles dans un cockpit ?

Ne paraît-il pas étrange de parler sur un EFIS d'aprot, d'afloor et d'amax en désignant un indicateur de vitesse ?
N'est-il pas un peu stupide que les informations qui arrivent des sondes d.incidence au pilote automatique ne soient présentées que partiellement et sous une forme convertie dans le cockpit ?
Plusieurs paramètres indirects sont ainsi mélangés par des calculateurs pour fournir au pilote une représentation inexacte de la réalité de la trajectoire de son appareil (vitesse indiquée, assiette, cap.)

Il est temps de donner enfin aux pilotes les moyens d'aujourd.hui : un instrument corrige à lui seul quasiment tous les défauts de l'instrumentation actuelle, dite classique : Le collimateur de pilotage, ou HUD.
Seul le HUD permet la lecture directe de paramètres angulaires avec une précision d.un dixième de degré, de connaître à chaque instant l.incidence de son avion, sa marge instantanée par rapport au décrochage, sans apporter une quelconque correction de masse, d'altitude pression ou de facteur de charge.
Seul le HUD permet au pilote de conduire son appareil directement sur une pente ou une route, en conformité avec le monde extérieur.
Quel pilote peut savoir à chaque instant s.il se conforme aux exigences d.un SID en matière de pente ?
Quel pilote est absolument certain, plusieurs dizaines de nautiques à l'avance, d'être au dessus de la couche nuageuse turbulente qu.il souhaite éviter ?...
Seul le HUD permet la représentation imagée et simple d'un bilan d'énergie de l'avion conduisant à la compréhension immédiate du comportement de la machine dans son environnement et face aux situations extrêmes (windshear.).
Seule la lecture d'un instrument collimaté à l'infini n'est pas affectée par des turbulences, aussi fortes soient-elles.

Depuis un peu plus de trois décennies, la navette spatiale américaine, tous les avions militaires du monde, et certains avions d'affaires volent à l'aide d'un collimateur de pilotage. Depuis près de quarante ans, les pilotes civils français réclament cet équipement primordial (qu.on se souvienne des travaux de René Lami et de Gilbert Klopfstein).

Aujourd'hui, les opérateurs de transport aérien s'intéressent eux aussi au HUD et plusieurs compagnies aériennes, dont notre alliée Delta, envisagent de « rétrofiter » d'anciens appareils.
Dans ce contexte, Airbus développe le concept de pilotage tête haute pour l'A380.
Le constructeur réfléchit, dès la conception de l'avion, à l'installation en série de l'ensemble du câblage pour une instrumentation « Head Up ». Le dispositif lui-même reste une option, mais l'impulsion est donnée.

Avec la conception d'un avion nouveau, exceptionnel par bien des aspects, l'occasion unique existe d'intégrer enfin cet instrument de façon intelligente dans un cockpit. Saurons-nous, pilotes utilisateurs et responsables du vol, exiger de notre compagnie qu'elle effectue ce choix technique décisif ?

Car, au-delà des statistiques, de la régularité, de l'image ou encore des primes d'assurances, l'enjeu est bien la sécurité des vols.

D'ici quelques semaines à peine, Air France achèvera de définir ses options pour l'A380. Il nous reste donc peu de temps pour peser sur ces choix. Airbus recommande deux HUD, au nom du « cross check » et de la compétence globale de l'équipage, Air France n'en voudrait aucun.

A nous d'être les acteurs de notre propre destinée et d'expliquer quelle sécurité des vols nous voulons pour demain. Erodée au plan syndical, il reste beaucoup à défendre et même à conquérir pour notre profession au plan technique.

Imposons un consensus autour de la sécurité, nous n'avons que trop attendu !

 

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