L’IFR AU GPS

Par Laurent Vandenborght

Il est 9h00 tapantes ce mardi matin 25 avril lorsque j’arrive à l’UACA, Union des Aéro-Clubs de la Côte d’Azur, sur la plateforme de Cannes-Mandelieu. Une traîne a installé quelques cumulus épars dans le ciel, et le vent nous promet quelques belles turbulences une fois en l’air. L’humeur est au beau fixe : je vais voler.

Au fait, je ne vous ai pas dit : je fais partie de ces (nombreux ?) EPL qui ont la chance de toucher un manche d’avion une fois l’an, à l’occasion du renouvellement PP IFR. C’est pourquoi, lorsque de rares occasions de voler se présentent, je me jette dessus comme la misère sur le monde. Ce jour là, j’étais invité de manière tout à fait fortuite à participer à un vol sur un PA28 de l’UACA piloté par Gilbert KLOPFSTEIN, ancien instructeur pilote d’essais au CEV.

Le programme de la matinée était un vol IFR sur Nice (en IFR pour être sûr de pouvoir fair au moins un ILS à destination) et retour vers Cannes en VFR. Lorsque je suis monté dans l’avion, j’avais dans l’idée la perspective d’un vol sympa en compagnie d’un pilote génial. J’étais loin de me douter que j’allais expérimenter une manière révolutionnaire d’envisager le pilotage, et surtout le suivi de trajectoires IFR.

Nous nous sommes rendus, avec Gilbert, à l’avion et je lui demandais ce que contenait la petite sacoche qu’il portait à l’épaule : " c’est un simple GPS ", me dit-il, " un GARMIN 100 ". En moins de 5 minutes, nous avions positionné le récepteur au dessus du tableau de bord (en vision tête haute, en quelque sorte), et nous avions fixé l’antenne sur la verrière, grâce à une ventouse et à l’indispensable salive de Gilbert.

Gilbert me fait rapidement un petit briefing sur l’utilisation du GPS : " à gauche du petit écran, tu disposes d’un trait horizontal gradué sur lequel se déplace un petit curseur, c’est l’écart du Localizer de l’ILS. A droite, deux nombres à trois chiffres l’un au dessus de l’autre : le premier indique la ROUTE (et non pas le CAP) qu’il faut prendre pour rejoindre la trajectoire sélectionnée, par exemple le LOC de l’ILS. Le deuxième indique la ROUTE INSTANTANEE que tu suis. En virant à droite ou à gauche, tu pilotes ta route. En faisant coïncider ta route instantanée avec la route à suivre, tu rejoins la trajectoire que tu as sélectionnée. C’est en somme un directeur de vol " intelligent " qui indique au pilote les corrections qu’il doit effectuer pour suivre une trajectoire sélectionnée, tout en lui permettant de matérialiser un trajectoire SOL (ce que ne fait pas un DV classique), grâce à l’indication de route instantanée ". L’ensemble est complété par une indication de distance au seuil de piste, qui fait office de DME et qui permet de contrôler la pente.

Cela paraît ultra-simple au premier abord, mais qu’en sera-t-il une fois en l’air ?

Gilbert me propose de prendre la place de gauche. Génial. Je pensais que je n’allais être que spectateur, je vais pouvoir en plus être acteur. Je lui indique tout de même en toute bonne fois que je n’ai pas touché un manche depuis 12 mois, que je ne suis donc pas au top de mon entraînement IFR, et que je ne serai peut-être pas le cobaye idéal pour essayer son super système. " Au contraire ! ", me dit-il tout en me rappelant qu’il est IVI. Bon.

Au roulage, je commence déjà à m’amuser avec le GPS : on voit clairement sur l’afficheur les changements de route, et l’alignement sur la piste se fait au quart de poil grâce à l’indication de route.

Dès 2000 ft, on rentre dans les cumulus déjà joufflus (la météo a prévu des Cb pour le milieu de la journée), ça remue un peu, on se fait guider radar jusqu’au début de l’approche de Nice. Gilbert demande au contrôle de nous permettre de débuter l’approche dès l’IAF (pour ne pas être parachutés sur le glide et pouvoir tester le guidage au GPS). Le contrôleur est OK. Gilbert m’explique alors qu’il a répertorié, à la loupe sur une carte IGN, les points de report de la percée ILS face à l’Est à Nice. Il les a introduits, sous forme de waypoints, dans son GARMIN, et il l’a reprogrammé (ne me demandez pas comment) pour que l’afficheur donne les indications qu’il m’a décrites avant le départ. Inutile de nous étendre sur le boulot que ça a dû lui demander !

Bref, nous attaquons la percée à l’IAF : Gilbert sélectionne la percée voulue dans la bibliothèque

qu’il s’est constituée, appuie sur ENTER, et c’est parti. Je me crispe sur le manche pour suivre l’indication d’écart de route. Je me rends vite compte que malgré les turbulences et l’IMC, la route installée se pilote très facilement et de toutes petites corrections suffisent pour rester sur la route sélectionnée. Je vois le GPS qui enchaîne tout seul, sans que j’aie à intervenir sur le clavier, les différentes branches de la percée. Il anticipe même les points tournants en me demandant de virer quelques secondes avant, ce qui fait que l’on se retrouve à chaque fois pile sur la trajectoire voulue. Je n’en reviens pas de la facilité et de la décontraction du pilotage : je me représente mentalement la trajectoire suivie en arrivant même au bout de quelques minutes à deviner les ordre du GPS avant qu’il ne les affiche. Le point de mise en descente arrive, nous sortons le train et les volets, et je m’enquille le glide grâce à l’indication DME. De temps en temps, je jette un coup d’oeil sur l’ILS de l’avion : en croix. A croire que je deviens bon !

Je saurais par la suite, à mon grand désespoir, que ce n’est que le GPS qui est très bon... L’outer marker passe, indiqué par l’afficheur GPS (Gilbert l’avait coté en waypoint), nous permettant de vérifier l’altitude de passage : au poil. Je poursuis la finale, et je me rends compte que le stress provoqué par les écarts LOC et Glide, de plus en plus grands sur un ILS classique à mesure que l’on s’approche du seuil, n’existe pas ici : le GPS fonctionne en linéaire et non en angulaire, et les écarts restent constants. Il est difficile d’imaginer le confort de conduite que cela procure ! La finale s’en trouve bien plus stable et bien plus cool ! Je garde les yeux à l’inérieur jusqu’à 100 ft, et demande à Gilbert si tout va bien dehors : il me dit que tout est OK et que je peux continuer la finale jusqu’à une cinquantaine de pieds. Bon... A 100 ft, je regarde dehors, pour info. Le seuil est sous les roues, et je n’ai même pas mouillé ma chemise ! Nous remettons les gaz pour ne pas payer la taxe d’atterrissage exorbitante de Nice, et nous repartons vers Cannes.

Pendant le retour, Gilbert m’indique qu’il y avait pas mal de vent de travers pendant la finale. Mais oui, au fait, je n’ai même pas fait un seul calcul de vent. Il m’a d’ailleurs semblé qu’il n’y en avait pas ! Gilbert me dit que notre dérive a évolué pendant notre finale, passant de 15° à un dizaine de degrés en courte. Je ne m’en étais même pas aperçu, et pour cause : l’indication de route supprime toute correction de dérive que l’on doit intégrer lorsque l’on pilote au

cap, puisque l’on pilote directement la trajectoire sol !

Et tout ça grâce à deux valeurs de route qu’il suffit de faire coïncider. C’est vraiment génial. Le pilotage d’un ILS par un élève sous-entraîné, en IMC, turbulence et vent de travers se fait à une quinzaine de mètres près jusqu’au toucher des roues, sans perte de poids du pilote ! Moi qui ne suis déjà pas bien gros, je suis preneur.

Comment ça marche ? Le principe est ultra-simple : on construit des orthodromies correspondant aux trajectoires que l’on souhaite suivre (une percée, par exemple). Les points tournants sont entrés dans le GPS comme des waypoints. Le récepteur GPS, qui dispose d’une information de position et de temps, calcule la route suivie, la vitesse instantanée, la route (orthodromique, bien sûr) qu’il faut suivre pour rejoindre une trajectoire choisie, et fait apparaître tout ça de la manière que l’on souhaite sur l’afficheur. On peut donc se construire une percée n’importe où, par exemple sur une plage (je plaisante, bien-sûr !), et se faire une finale plus précise qu’un ILS avec un confort de pilotage inégalé, en suivant les indications du GPS, et tout ça même si tous les moyens de radioguidage au sol sont HS. Au delà de l’aspect ludique, il faut voir dans cette technique développée par Gilbert un moyen plus précis que les IRS qui équipent l’A320 (parce que sans dérive), qui réintroduit le pilote dans la boucle de décision, en lui permettant de visualiser simplement les trajectoires sol de son appareil.. Ce système, qui coûte moins cher qu’un récepteur ADF (il faut tout de même programmer correctement), est surtout vecteur de SECURITE. Il est précis, fiable et indépendant des conditions extérieures (perturbations radioélectriques, état de fonctionnement des infrastructures au sol etc.).

A l’issue du vol, Gilbert m’a parlé d’un autre système qu’il a développé, et qui permet de visualiser sur un écran le sol situé sous l’avion, à la manière d’une radiosonde, mais aussi devant l’avion, et même au delà de la crête de la colline située devant l’avion, si elle existe. Encore une fois, le GPS est de la partie, doublé cette fois d’un micro ordinateur qui contient la base de données des points du sol. Un genre de GPWS qui verrait devant l’avion, et même à travers les montagnes ! Il a invité l’équipe des journalistes du GONIO à venir faire un vol de démonstration. J’espère que le rendez-vous sera tenu. A bientôt dans le prochain numéron